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A l’heure du thé

Un dimanche, un dimanche de février quand la terre semble retenir son souffle. Les yeux rieurs et les joues grenadine, on s’installe au salon, à pas feutrés, après avoir abandonné les bottines toutes empreintes encore de nos errances champêtres. Le silence s’assied entre nous, témoin de la douceur du moment. Cet instant suspendu qui parle plus que de belles paroles, qui virevolte tellement mieux qu’une valse à plein temps. Les mains s’apaisent, trouvent refuge sur les plaids colorés. J’ai allumé la flamme sous la bouilloire. Elle me siffle déjà sans retenue.

Un voyage indien, un thé noir pimenté de cannelle. Et voici que surgissent les saris chatoyants, les effluves entêtantes, les klaxons hoquetants et les chiens errants. L’espace et le temps s’effacent. Je suis là, dans cette ville étonnante, dans le Bombay où mon ventre s’est, pour la première fois, arrondi. Chaque jour, je suis surprise par cette aventure du dehors et du dedans. Il y a des routes cabossées, des ruelles – marchés et dortoirs- à ciel ouvert, des relents âcres et des senteurs épicées, les odeurs des femmes et des hommes, celles des épluchures et des fleurs fanées. Il y a la vie qui pulse au plus profond de moi et mes pas qui s’alourdissent. Il y a des regards magnifiquement sombres, ourlés de khôl, des dents blanches d’enfants et mes doigts qui partent à la rencontre du mien. Séparés lui et moi par quelques centimètres de peau seulement, il y a cette petite bosse revenant sans cesse. J’imagine un minuscule talon pointu et taquin. Il y a des currys parfumés sur des plateaux argentés et d’incessants concerts de bracelets cliquetants sur de fins poignets.

Les cuillères tournent dans les tasses posées sur la table basse.  Je dépose, dans le plat en pierre quelques poires. Leur chair est tendre sous la peau fine. Je la regarde. Elle a  les poignets délicats et d’incroyables yeux verts. Elle verse avec précaution le breuvage fumant et baisse les paupières pour mieux savourer, pour se souvenir peut-être… Le jour s’éteint paisiblement. On a laissé les volets ouverts pour mieux accueillir la nuit. Elle soupire, elle s’étire dans le canapé, féline. Elle allonge ses jambes contre les miennes et dans la pénombre qui peu à peu s’avance, je caresse son petit talon pointu.

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1 Comment

  • Reply Catherine GLAUDEN 7 janvier 2020 at 13 h 13 min

    j’ai en grand format, dans la pièce qui fait office à la fois de salle à manger et de cuisine, cette merveilleuse photo de « à l’heure du thé ». Je ne m’en lasse pas. Chaque jour, je ressens un réel plaisir de m’imprégner de son atmosphère. La chaleur des couleurs qui me réchauffent l’hiver et le plaisir à l’idée d’en boire à toutes saisons. FELICITATIONS Sigrid pour toute ta créativité. Tu enchantes la vue et le coeur.

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