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La balançoire

Il fait chaud ou plutôt, il y a comme une douceur particulière. J’ai neuf ou dix ans à peine et je me balance nonchalamment puis plus fort pour sentir l’air fouetter mes joues. La vieille balançoire est habituée et fidèle à mes tentatives d’envol. Je suis seule dans le jardin aux effluves de cerisier.

Soudain, le soleil, l’herbe maigre, les rares nuages, le bleu de ma jupe, tout explose. Tout m’étourdit, j’ai un coup de beauté. Je freine brusquement du bouts de mes sandales. L’immense pulsation au creux de ma poitrine me précipite à la recherche d’un crayon et d’un cahier. Les mots se bousculent, galopent : « Voici le printemps avec ses fleurs, son soleil et toutes ses merveilles…”

Je ne me souviens plus de la suite mais ce jour-là, je découvre une petite poétesse inconnue. Sans doute côtoyait-elle depuis longtemps la danseuse et l’apprentie musicienne, elles-mêmes nées de cet étonnement devant la grâce d’un geste ou d’une mélodie. L’émerveillement de l’instant se transforme alors en élan et les mots en cadeau. Pour le plaisir de les dire mes mots, de les entendre se répondre, de provoquer des sourires. Je me fais aussi une promesse : celle de toujours faire de la place aux vers et aux rimes.

Et puis je grandis. Et puis la vie, les choix, les tâches, le sérieux, l’âpre et le doux, les journées, les années. On construit, on tombe, on doute, on réussit, on se relève, on accélère, on enchaîne. On s’enchaîne.

Je rentre du marché. J’ai envie de prolonger ce moment. Alors, au lieu de tourner à droite pour rejoindre ma voiture, je choisis la ruelle de gauche. Se croire perdue juste pour quelques minutes. Ressentir soudain l’excitation de l’aventure devant ce petit carré d’herbe inconnu. J’écoute les graviers crisser sous mes pas et tout à coup, elle est devant moi. Un peu de guingois, un peu moussue, elle m’invite. J’hésite. Je suis une femme avec des responsabilités. Aucun passant à l’horizon, juste le croassement moqueur d’un oiseau noir. Je me lance timidement puis plus haut pour sentir la légèreté dans mes cheveux. Mais pas trop longtemps. Tout de même ! Je ne vais pas passer ma matinée à tutoyer le vent!

Je laisse le tangage mourir de lui-même. Un sourire émerge. J’attrape la liste des courses et mon stylo. Entre les bananes et le café, j’ai encore un petit espace vierge. Comme une plage blanche, une infime respiration de liberté, à peine une bouffée.

«  Voici le printemps avec ses fleurs, son soleil et toutes ses merveilles. Voici venu le temps de goûter à la vie et aux groseilles ». Ca me fait rire. De la joie simple d’aligner quelques mots de moi, rien que pour moi. Des mots qui finiront sans doute chiffonnés au fond de ma poche ou de la poubelle mais qui, aujourd’hui, avaient la saveur d’une madeleine.

Nb : Je ne suis pas l’auteure de ces photos

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